Chargée de mission “ressources humaines” à la direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication du ministère de l'Intérieur, Charlotte Cador revient sur les politiques menées pour pallier la pénurie de cadres de l'informatique et du numérique dans le secteur public.

Un décret paru en mai dernier fait du corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication (SIC) du ministère de l’Intérieur un corps “à vocation interministérielle”. Comment cette réforme va-t-elle entrer en application ? 
Cette ouverture du corps des ingénieurs SIC s’est concrétisée en décembre 2015 avec l’organisation du premier concours externe commun à plusieurs ministères, qui a permis de recruter cette année 44 ingénieurs, dont 20 iront exercer dans les services du Premier ministre, aux ministères de l’Écologie, de la Justice et des Finances. Il s’adresse à des profils bac + 5, pour des emplois de chefs de projet, d’administrateurs réseaux et sécurité, de développeurs, d’urbanistes et d’assistants à la maîtrise d’ouvrage. Après sélection sur dossier, les candidats admissibles ont été entendus par un jury interministériel, pour une prise de fonction début 2016. Les agents recrutés devront ensuite suivre une formation spécifique qui leur permettra d’acquérir un bagage administratif et des techniques de management pour, à terme, piloter des équipes. Un dispositif sera aussi organisé en 2016 pour permettre aux contractuels de rejoindre ce corps dans le cadre des titularisations prévues par la loi Sauvadet. Une voie d’accès au corps par le troisième concours est également prévue. Et pour inciter les agents à profiter de l’ouverture du corps, et à exercer dans un nouveau ministère, une campagne de mobilité interministérielle sera lancée.

Quel est l’intérêt immédiat de cette révision du corps des ingénieurs ? 
Cette réforme va donner un peu d’air aux ministères qui ne disposent pas de corps ad hoc pour le recrutement de leurs ingénieurs informatiques. Ceux-là faisaient jusqu’à présent appel à des fonctionnaires qui travaillaient en détachement de leur administration d’origine, à des contractuels ou à des prestataires externes. Le corps des ingénieurs SIC continuera d’être géré par la Place Beauvau, mais un représentant ministériel de chaque administration siégera dans la future commission mixte paritaire qui lui sera dédiée. Chacun gardera son schéma d’emploi et ses agents, mais la coquille du statut d’ingénieur sera désormais commune à tous les ministères. Ce décret nous permet ainsi d’élargir le bassin d’emploi mais aussi d’attirer de nouveaux profils, grâce notamment à la revalorisation des carrières et à la création d’un grade d’“ingénieur hors classe”.

Cela va-t-il suffire à renforcer l’attractivité du secteur public dans le domaine de l’informatique et du numérique ? 
Il n’y aura pas de “grand soir” ni de révolution complète, mais ce décret est un bout de solution pour répondre à la pénurie des cadres de l’informatique constatée dans le secteur public. L’objectif est d’avancer pas à pas et de donner l’exemple. Pour l’instant, cela ne concerne que les ingénieurs, mais le même travail sera mené pour les agents de catégorie B (techniciens SI). L’obligation de formation continue intégrée dans le nouveau décret est aussi un début de réponse pour maintenir les compétences au niveau requis. Les changements de grade se font par le biais d’une formation avec validation des acquis, sur des thèmes tels que le management, la direction de projet ou le système d’information au service des politiques publiques. Il ne faut pas non plus sous-estimer les avantages qu’offre le secteur public aux agents, dont la sécurité de l’emploi mais aussi la possibilité d’accéder très vite à des postes à responsabilité, notamment en gestion d’équipes. Les agents peuvent aussi se mettre à disposition, pour engranger d’autres expériences dans le secteur privé, voire tenter l’expérience de la création d’entreprise. Ces passerelles entre secteurs privé et public sont encouragées. Le ministère de la Défense lance d’ailleurs actuellement une expérimentation pour que ses ingénieurs renforcent leurs compétences, en retournant se former à l’école ou en partant exercer dans des entreprises privées.

Quelles sont les compétences les plus recherchées ? 
Les data scientists, les développeurs “agilistes”, les bons architectes sont difficiles à capter notamment, car ce sont souvent des self-made men qui échappent aux circuits habituels de formation et de détection des hauts potentiels. Et même sur les profils moins rares, il faut parfois plusieurs mois pour pourvoir les postes. Pour remédier à cette situation, il faut aussi que la vision des métiers SIC change au sein de l’administration, notamment que les services de ressources humaines aient des outils plus adéquats pour connaître les profils SIC recherchés. Nous travaillons dans ce cadre à construire un référentiel des métiers et des compétences commun à toutes les administrations afin d’harmoniser les grilles de lecture de chaque ministère. Dix-huit mille agents SIC travaillent actuellement pour l’État, au sein de 90 corps différents, avec une grande diversité de statuts, d’expériences et de rémunérations. Nous voulons créer un « esperanto » du référentiel métier et compétences tout en conservant les spécificités propres à chaque ministère. Cette révision permettra à terme d’actualiser le répertoire interministériel des métiers et des emplois (Rime) de la direction générale de l’administration et de la fonction publique. En parallèle, nous voulons identifier un réseau, mettre en place un annuaire des profils SIC du secteur public, encourager l’émergence de communautés regroupant des agents de différents ministères. À titre d’exemple, nous organisons, depuis 2013, des journées professionnelles à destination des directeurs de projet. Ces journées ont lieu tous les trimestres, favorisent la mise en réseau, le partage d’expérience et l’entraide entre pairs.

Comment organisez-vous la formation continue des agents publics face au développement rapide des nouvelles technologies ? 
En plus de nous rendre plus attractifs et de sensibiliser les services RH, l’autre solution pour renforcer la gestion des ressources humaines et répondre aux besoins de l’administration est bien de faire monter en compétences les agents qui se sont formés sur d’anciennes technologies. Plusieurs formations seront déployées en 2016 en ce sens, notamment pour les directeurs de projet, afin de leur donner des outils opérationnels pour mieux diriger leur projet et aussi les sensibiliser aux politiques interministérielles, par exemple sur les méthodes agiles de développement encouragées au sein de l’État ou sur les politiques d’achat public et de sécurité SI. Cette priorité à la formation se concrétise aussi dans l’obligation de formation continue pour les ISIC à chaque changement de poste et, de toute façon, tous les trois ans. Ici encore, nous avançons pas à pas. La formation des directeurs de projet est un premier pas et nous comptons nous atteler à d’autres métiers ou compétences clés d’ici 2016. Nous ciblons en priorité les thématiques sur lesquelles la spécificité de l’État est forte et nécessite une formation dédiée : par exemple, l’achat public dans le cadre des méthodes agiles ou l’urbanisation du SI de l’État.

Raphaël Moreaux